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Fabrice Humbert explore avec sensibilité et distance la mémoire et l’héritage de ses aînés, fondateurs d’un phalanstère à Clamart.
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Avant de fouiller la mémoire de sa famille, Fabrice Humbert en présente un arbre généalogique « simplifié ». L’adjectif est à prendre au sens noble, annonciateur d’un roman soucieux de ne pas se perdre dans les replis d’un nombril, ni de prêter aux morts des pensées qu’ils n’eurent probablement jamais. Deux branches cousines poussent à ­côté l’une de l’autre. Celle de Madeleine, la grand-mère de l’auteur, bloc de silence, en apparence malmenée par une vie de labeur et de mauvais choix matrimoniaux. Celle de Sarah, cousine de Madeleine, en apparence gâtée par une vie d’opulence et de bonheur conjugal. En apparence, car le récit de Fabrice Humbert prouvera que les trajectoires en ligne droite n’existent pas, qu’une petite-fille (celle de Sarah) jouant du piano à la perfection peut très bien finir en prison pour avoir fréquenté le groupe armé Action directe, qu’un petit-fils (celui de Madeleine) distribuant des coups de pied à sa tante et ne venant pas au secours de son meilleur ami peut très bien finir par écrire ce roman juste et bienveillant, sensible à l’humanité de chaque être.

Peut-être le style fraternel de Fabrice Humbert est-il un legs de ses ancêtres, fondateurs après la guerre d’une communauté protestante baptisée Fraternité. Le début du livre raconte comment quelques familles construisirent à Clamart ce phalanstère idéal, cet « éden utopie », de leurs propres mains, avec du matériel de récupération, un ex-voto glissé à l’intérieur de chaque brique. Parmi les bâtisseurs, la famille Jospin, parents d’un petit Lionel, giflé à 11 ans par le pasteur à qui il avait chipé sa nouvelle Simca. Fabrice Humbert ne s’attarde pas sur le futur ministre car « les célèbres et les puissants se meuvent mal dans la fragile dentelle de la littérature », dit-il au détour des commentaires sur son travail d’écriture qui émaillent ce roman d’une étonnante pudeur. Fabrice Humbert se regarde écrire, mais à bonne ­distance. Jamais il ne s’épanche, se cramponnant à la méthode (entretiens menés auprès de ses proches, plus ou moins prolixes), pour fuir ce qu’il abhorre : l’autofiction. Un film est en tournage, d’après L’Origine de la violence (2009), son roman le plus connu, sur l’effroi d’un professeur qui croit reconnaître son père parmi les photos de déportés lors d’une visite du camp de ­Buchenwald. Plus abouti, Eden Utopie sera sans doute plus difficile à adapter au cinéma. Pourtant très ancré dans la réalité, ce livre est aussi agité par la question sous-jacente et mystérieuse qui hanta l’enfance de Fabrice Humbert : « Comment sortir de l’imaginaire ? »

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