« Il n’y a rien de plus extraordinaire que la réalité », avait l’habitude de dire Mary Ellen Mark. Cette figure charismatique de la photographie de reportage d’après-guerre, qui a toujours tourné sa caméra vers les exclus et les marginaux, est morte, lundi 25 mai à New York, à l’âge de 75 ans.
Née près de Philadelphie, elle s’est d’abord tournée vers des études de peinture et d’histoire de l’art, avant de trouver sa voie en suivant des cours de photographie. « Dès ce moment où j’ai su ce qu’était la photo, je suis devenue obsédée », écrivait-elle dans son livre sorti à l’occasion de ses vingt-cinq ans de photographie.
Pour son premier reportage marquant, au début des années 1960, elle suit la vie de drogués à Londres, et trouve son style : du noir et blanc, un mélange de spectaculaire et de compassion, une proximité forte avec ses sujets. Admirative d’Eugene Smith ou de Dorothea Lange, elle cherche les regards forts, le moment suspendu, l’instant dramatique. Cette série marque le début d’une longue collaboration avec les grands magazines américains – Life, Vogue, Vanity Fair… Au cours de ces années, la photographe connue pour son caractère vif et son charisme rejoint l’agence Magnum, de 1977 à 1981, avant de finir par créer sa propre agence.
Pour Mary Ellen Mark, impossible de ne pas être amie avec ses modèles. A chaque fois, elle prend du temps pour vivre avec eux, et revient souvent sur les lieux pour avoir des nouvelles ou les photographier à nouveau. En 1979, elle passe plusieurs mois dans un hôpital psychiatrique, pour photographier le quartier sécurisé destiné aux femmes : elle en tire une série forte aux cadrages mouvementés, réunie dans un livre, Ward 81 (1979).

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BRUTALITE DE LA VIE QUOTIDIENNE

En Inde, elle mettra plusieurs années à gagner la confiance des prostituées de la rue chaude de Bombay, Falkland Road : au début, les femmes l’insultent, lui jettent des ordures à la figure, lui crachent dessus. Elle s’installe alors dans le café où les prostituées font leur pause, et en vient à partager leur vie. Pour une fois, les images de Mary Ellen Mark sont en couleurs, dans des tons criards qui disent sans fard la brutalité de la vie quotidienne. « Mary Ellen Mark a l’air de suggérer à ses modèles qu’il n’y a pas de honte, que la honte n’est que la gêne ou la délectation des mauvaises consciences, qu’il n’y a que la réalité, et que toute réalité est digne d’être dite », écrivait le critique Hervé Guibert sur ce travail dans Le Monde en 1981.
Son travail le plus marquant naît d’une commande en 1983 pour le magazine Life : à Seattle, ville réputée la plus agréable des Etats-Unis, elle photographie les enfants des rues, oubliés par les services sociaux et délaissés par leurs parents, livrés à la drogue et à la prostitution. Elle en tire un livre, Streetwise, ainsi qu’un documentaire du même nom tourné avec son mari, Martin Bell, qui sera nommé aux Academy Awards en 1984. Elle y suit une enfant de 13 ans, Tiny Blackwell, qu’elle retrouvera vingt ans plus tard pour un nouveau travail photographique.

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ESTHETIQUE DE L’EMPATHIE

Tout au long de sa carrière, sa passion va d’abord aux marginaux de la société : aveugles, fugueurs, prostituées, sans-abri, malades mentaux, drogués, paumés, gens du cirque, gitans, mères adolescentes… En 1987, pour le magazine Life, elle a longuement suivi une famille américaine à l’existence précaire : les parents et les enfants Damm passaient de motels en ranchs abandonnés dans le désert près de Los Angeles. Elle est retournée les voir en 1994, pour constater que leur situation s’était aggravée, les parents sombrant toujours plus dans la drogue malgré les dons générés par la première publication. Elle a aussi consacré un long sujet à Mère Teresa et à son action en Inde.
Contrairement à Diane Arbus, qui s’appliquait à faire ressortir l’étrangeté de ses sujets, rassemblant marginaux et gens normaux dans la même fragilité, Mary Ellen Mark, en héritière de l’humanisme des années 1950, cherchait toujours ce qui rapproche les gens : « Je veux atteindre et toucher quelque chose que je sens être au plus profond des hommes », écrivait-elle dans un de ses livres. Une esthétique de l’empathie qui a été largement imitée, jusqu’à la caricature, dans le photojournalisme des années 1980 et 1990.
Même si ce travail est moins connu, la photographe a aussi beaucoup travaillé sur les plateaux de cinéma : elle a suivi le tournage d’Apocalypse Now (1979), de Francis Ford Coppola, celui de nombreux films de Baz Lhurmann (Moulin Rouge, 2001). On lui doit une très belle photo brumeuse de Fellini, le porte-voix en bouche, sur le tournage du Satyricon, en 1969. Dans les années 1990, elle est aussi devenue portraitiste de célébrités, photographiant de nombreux acteurs pour Rolling Stone ou le New York Times Magazine.

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Fellini

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