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Il y a des plats qui vous marquent. Selon l’histoire et l’origine de chacun, ce ne seront pas les mêmes. Dans la plupart des familles niçoises, le plat qui reste en mémoire, ce sont les farcis. Et plus précisément « les farcis de Maman ». Comme le couscous dans les familles d’origine maghrébine ou pied-noir, il n’y a qu’une recette, celle de la mère. Et chaque mère fait les choses à sa manière. Ne soyez pas surpris, tous les Niçois vous diront que leur mère fait les meilleurs farcis du monde.

En vérité, il n’y a pas de farcis parfaits. Ou plutôt, il y en a autant qu’il y a de familles niçoises. Ce n’est pas votre goût qui va déterminer quels sont les meilleurs farcis mais l’inverse : quand vous avez été élevé dans la tradition niçoise, votre goût s’est construit autour des farcis de votre mère. Ils sont déterminants. C’est à partir des farcis, plat complet qui s’ajuste selon les préférences de chacun, que votre idée de l’équilibre va se construire. Ils agissent comme un référent gustatif. C’est le diapason qui donne le La de vos goûts futurs. Une tonalité qui marquera pour toujours vos préférences.

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La cuisine des restes

Les petits farcis niçois, lu farcit nissart comme on dit chez nous, c’est un plat vraiment local. Contrairement à bon nombre de recettes du Comté, il n’y a pas d’équivalent de ce plat en Ligurie ou au Piémont (pesto-pistou, pissaladière-piscialandrea, fougasse-focaccia, etc). C’est à nous, rien qu’à nous. Les Provençaux ont repris l’idée plus tard, mais au départ, c’est une exclusivité niçoise, originaire de l’arrière-pays. La recette est relativement récente, puisqu’elle comporte des courgettes et des tomates entre autres, qui sont des légumes – enfin, ce sont des fruits au sens botanique, mais on ne va pas chipoter – consommés depuis peu sur le Vieux Continent. La courgette est une idée particulièrement neuve, fauchée aux Piémontais au XIXème siècle.

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Les farcis niçois, c’est la cuisine des restes : on utilise des légumes frais et on les farcit de ce qui traîne en cuisine. Ces légumes frais, ce sont des tomates, des courgettes, des aubergines et des oignons. Pas n’importe lesquels, attention : les courgettes sont des rondes de Nice (petites et claires, rien à voir avec les gros machins vert foncé que j’aperçois parfois dans les rayons des supermarchés), les aubergines sont des longues de Nice de petit calibre, les tomates sont de calibre moyen et les oignons sont blancs et très gros.

Les farcis de Maman

5 aubergines de petit calibre
5 courgettes rondes de Nice
5 tomates de calibre moyen
4 gros oignons blancs
1 demi-fond de jambon
1 oeuf
La mie d’un pain blanc
Du lait demi-écrémé
Un peu de parmesan râpé
Un peu de persil
De la chapelure
Huile d’olive
Sel, poivre

Les légumes sont d’abord lavés et coupés de manière précise. Posez votre tomate ou votre courgette, pédoncule vers le haut, et regardez-la en imaginant que c’est la planète Terre. Il faut la couper en suivant l’équateur, on appelle ça une coupe transversale en anatomie.

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Les oignons, les aubergines et les courgettes vont cuire à l’eau jusqu’à ce qu’ils soient tendres. Les tomates peuvent attendre. Si on cuit les légumes dans l’eau salée, c’est mieux, car ils seront déjà salés uniformément pour la suite. À la vapeur, c’est plus rapide car on n’a pas besoin de les faire sécher aussi longtemps, mais l’assaisonnement sera plus hasardeux.

La mie de pain a elle aussi besoin d’une préparation préalable : il faut la faire tremper dans du lait, assez pour la recouvrir. On laisse la mie gonfler dans son bol et on ne s’en occupe plus.

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Une fois que les légumes sont cuits, à la vapeur ou à l’eau, il faut les laisser perdre un peu d’eau. Pour cela, on réalise une installation particulière : on surélève une extrémité d’une planche à découper à l’aide d’une cale et on pose les légumes dessus. L’eau va s’écouler le long de la planche et sera recueillie directement dans l’évier car la planche a été posée juste à côté.

Le deuxième jour (ou le jour-même, quelques heures plus tard si vous avez pris l’option vapeur), on va creuser les légumes. Pour cela, on utilise une cuiller à pamplemousse ; c’est plus facile ainsi. On creuse les demi-courgettes et les demi-aubergines cuites ainsi que les tomates fraîches, coupées en deux comme les courgettes, à l’équateur.

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On ne creuse pas trop profond, pour que les farcis se tiennent et ne se dessèchent pas trop, mais assez profond quand même, sinon c’est pas bon. On laisse environ 5 millimètres d’épaisseur de chair sur les parois de chaque légume. La chair qui est retirée en creusant les légumes sera la base de la farce, il faut donc la recueillir dans un saladier.

Pour les oignons, c’est un peu différent car ils sont composés d’une multitude de couches mais ne sont pleins de rien. Il faut d’abord finir de les fendre. Puis il faut les effeuiller, patiemment. Toutes les couches intactes, jusqu’aux plus petites, sont posées comme autant de petites barquettes dans un grand plat à gratin huilé. Toutes les couches moches, abîmées ou mal formées sont ajoutées à la farce.

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Cette farce, pour l’instant composée uniquement de légumes, doit être hachée finement. « Pas au hachoir électrique, beaucoup de gens font ça parce que c’est plus rapide, mais ça ne marche pas. Ça fait de la bouillasse. Et on ne cherche pas du tout à obtenir de la bouillasse, mais un haché fin. » Alors on prend son hachoir à main et patiemment, on hache ses légumes sur une planche à découper. L’excédent de jus est recueilli dans un bol, pour plus tard, au cas où la farce serait trop sèche.

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Quand les légumes sont finement hachés, on fait pareil avec le demi-fond de jambon. Mais pour le coup, le hachoir électrique fonctionne très bien, donc on ne va pas se compliquer la vie, zou, dans la machine. On mélange les légumes et le jambon, on ajoute un tout petit peu de persil, haché lui aussi, du parmesan (pas beaucoup, nous en mettons environ 70 grammes), l’oeuf entier, la mie de pain trempée (mais pas le lait qui reste au fond du bol, c’est pour le chat), on sale et on poivre, et voilà.

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Quand la farce est prête, on fait chauffer le four, pas trop fort, 180-200°. On sort les plats à gratin, on les huile légèrement au fond, et on pose tous les légumes creusés dessus, comme on a fait tout à l’heure avec les oignons. Dans chaque légume creusé, on dépose un peu de farce, pas trop au début au cas où on n’en aurait pas assez, puis on les remplit au fur et à mesure. La farce ne doit pas dépasser en gros monticules, on fait du farci joli voyez-vous.

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On reste dans la cuisine familiale, mais avec un certain raffinement. Pas question d’avoir des gros farcis qui font « plof » quand on les pose dans l’assiette. C’est en quelque sorte du farci niçois et du farci bourgeois.

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Que vous ayez fait vous-mêmes votre chapelure ou non, il va falloir la jeter en pluie sur les plats, et ne pas vous gêner pour en faire tomber au fond. Car cette chapelure n’est pas perdue pour autant : elle va cuire dans l’huile et le jus des farcis et donner ce que nous appelons « grac », ce machin croustillant que l’on retrouve attaché au fond des plats de gratin et de farcis.

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La touche finale, c’est une petite goutte d’huile d’olive que l’on dépose sur chaque farci. Après cela, ils sont prêts à cuire, on peut les enfourner. Il vous faut un grand four avec plusieurs grilles si vous voulez tout cuire d’un coup. Nous avions trois grands plats, nous les avons déposés à des hauteurs différentes, et nous avons dû les intervertir deux fois durant la cuisson pour que tout le monde gratine au même point.

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D’ailleurs, en parlant de cuisson, difficile de vous donner un temps précis. On a baissé le thermostat à 180° et on les a laissés environ une demi-heure avant que nous ne changions les plats de place pour la première fois. Le deuxième changement de place a eu lieu peut-être au bout de 20-30 minutes. Les oignons étaient déjà cuits, nous les avons sortis et avons laissé les autres légumes terminer de cuire en éteignant le four et en les laissant dans la chaleur une heure.

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Le résultat, ce sont des farcis parfaitement gratinés, qui se tiennent admirablement et qui sentent diablement bon. Il ne faut pas les manger tout de suite, non non non, il faut attendre qu’ils refroidissent (un bon farci se mange tiède tout au plus, ou à température ambiante, mais surtout pas chaud ou froid), qu’ils rassissent un peu là où il faut (notamment au niveau de la chair des tomates), et qu’ils s’hydratent un peu là où il faut (notamment au niveau de la peau des aubergines).

C’est un plat qui annonce l’été : on le mange pour célébrer les premières courgettes et aubergines, toutes petites et toutes jolies, puis on passe à des plats moins consistants quand la vraie chaleur estivale s’installe. Bref, la saison des farcis est assez courte, alors on en profite, et on s’y remet l’année suivante.

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